Friscènes : Nekrassov

“Qu’est-ce que que ça ? Un titre de journal ou la charge des éléphants sauvages. Du rythme, bon Dieu, du rythme. Il faut aller vite ! vite ! vite ! Ca ne s’écrit pas, un journal, ça se se danse. Sais-tu comment on l’écrirait, ton titre, chez les Amerlaud…” (Jules Palotin, Nekrassov, Tableau II, scène IV)

En pleine Guerre Froide, Georges de Valera, un escroc du siècle, est sur le point de se faire arrêter par la police. En cavale, il se réfugie chez Sibilot, un journaliste de la rubrique anticommuniste à Soir à Paris. Mais depuis quelques temps, Soir à Paris se relâche, ce qui rend le conseil d’administration mécontent, et le directeur, Palotin, somme Sibilot de trouver une idée pour relancer le journal sous peine d’être viré. Une idée naît dans l’esprit de Valera. Sachant que Nekrassov, un important ministre soviétique, est porté disparu, Georges y voit l’occasion en or pour disparaître : devenir Nekrassov. Valera sera Nekrassov en fuite à Paris, car il aura choisi la liberté. Et ses souvenirs, il les vendra très chers.

Voilà ce qui se déroulait sur les planches de Gambach le samedi 10 octobre dans le cadre du Festival Friscène. C’est Nekrassov, oeuvre du philosophe Jean-Paul Sartre qu’a choisi d’interpréter la troupe Les Hauts Plateaux.  L’œuvre théâtrale, en huit tableaux originellement, a été mise en scène par Audrey Bertrand, et nous a transporté avec humour et ardeur dans les méandres d’une presse prête à tout pour gagner la course médiatique, le tout rythmé par des personnages aussi grotesques qu’absurde.

L’histoire fictive de Nekrassov nous rappelle une autre, bien réelle fois-ci. En avril 1944, le haut fonctionnaire soviétique Victor Kravchenko, se trouvant en mission officielle à Washington, avait fui et réussi à « passer à l’Ouest » en trompant la vigilance de son ambassade. Dans son autobiographie intitulée J’ai choisi la liberté, Victor Kravchenko avait énoncé certaines révélations sur le fonctionnement de l’URSS, révélations qui avaient grandement alimenté la presse et propagande anticommuniste en Occident. Et pourtant, me direz-vous, Sarte était un sympathisant communiste et de l’URSS. Fait-il avec cette pièce une critique ou un éloge du communisme ? Et bien, ni l’une ni l’autre. Jean-Paul Sartre avance une critique incisive à l’égard de la presse, non parce que cette presse était avant tout anticommuniste, mais parce que les mensonges et les exagérations de la presse anticommuniste constituaient le fondement de la critique de Sartre.

Et d’ailleurs, cela, la troupe a su parfaitement le relever, notamment au tableau II, scène IV, où de Jules Palotin, incarnant l’archétype du patron nerveux, narcissique, paranoïaque, immorale et obsédé, ne cherche que le scoop, à faire les gros titres. Il affirme, lorsque Périgord, lui propose comme titre à la Une La guerre s’éloigne : « Non, mes enfants, non. Qu’elle s’éloigne tant qu’elle veut, la guerre. Mais pas à la Une. À la Une, les guerres se rapprochent ».

Bref, le choix narratif de la troupe a été de mettre en avant la problématique de la vérité au sein de la presse et de la manière dont les médias déforment l’information afin de mieux manipuler l’opinion publique, en laissant de côté non seulement une partie de la philosophie de l’oeuvre mais également les valeurs morales que Sartre visait. Est-ce un mal ? Non, car la troupe a interprété avec adresse la psychologie et l’absurdité des personnages qui sont le résultat de la philosophie et des valeurs morales.


Périgord: « Silence rassurant de l’Amérique »

Jules :« Rassurant! Mais, mon vieux, je ne suis pas seul : j’ai des devoirs envers mes actionnaires. Tu parles que je vais m’amuser à foutre “rassurant” en gros titre pour que les gens puissent le voir de loin. S’ils sont rassurées d’avance, pourquoi veux-tu qu’ils m’achètent le journal ? »

(Nekrassov, Tableau II, scène IV)


Bien que Nekrassov fasse grandement réfléchir, n’oublions pas qu’il s’agit d’une farce, la seule que Sartre ait écrite d’ailleurs et on y rit, beaucoup! Nous saluons pour cela en grande partie la performance époustouflante de la troupe Les Hauts Plateaux qui a tenu le public en haleine par le rire. Cette performance est d’autant plus remarquable en cette étrange période de pandémie où l’un des comédiens, testé positif, n’a pas pu joué, donnant ainsi la tâche supplémentaire aux autres comédiens et comédiennes d’apprendre un texte en plus.

En somme, malgré son ancrage très historique et idéologique, cette pièce nous parle, aujourd’hui plus que toujours. L’information (ou désinformation) est omniprésente, notamment en cette période d’élection américaine et de pandémie de covid-19. A l’ère du numérique, ce ne sont plus les hommes qui trient les informations mais des algorithmes. Leur critère: l’attractivité qu’elles auront pour nous, qui augmentera ainsi le chiffre d’affaire; qu’importe la vérité ! Mais peut-on encore parler de vérité lorsque celle-ci est dictée par le nombre de retweets ou de clics? On comprend l’importance des mots de Orwell dans 1984: “Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre.”.

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