Colportage interdit : interview de Daniel Duqué
Le 25 mai dernier, j’ai eu l’occasion d’assister à une projection de presse du dernier long-métrage de Daniel Duqué : Colportage interdit. Ce film m’ayant particulièrement plu, je lui ai consacré une chronique que vous pouvez retrouver sur notre Soundclound.
Le film, en deux mots, raconte le parcours de vie assez singulier de Daniel Duqué lui-même. Il passe de maison en maison depuis de nombreuses années pour vendre ses films et ceux d’autres auteurs… Colportage interdit regroupe également une multitude de témoignages, la plupart du temps des personnes rencontrées par le réalisateur. Ce long-métrage dispose donc de plusieurs facettes et d’une profondeur qui ne demande qu’à être découverte. Si vous êtes titillé par cet avant-goût, allez écouter la chronique mais surtout courrez découvrir l’univers de Daniel Duqué.
Ci-dessous, vous retrouvez de manière écrite un interview du réalisateur.
Question : Colportage interdit raconte un véritable parcours de vie, un parcours de colportage qui n’est pas fictionnel, que tu vis concrètement depuis plus de 25 ans. Comment t’es venu l’idée au départ de faire du porte-à-porte pour vendre ton art ?
Daniel Duqué : Eh bien, à l’époque, je faisais du taxi à Lausanne comme job alimentaire et nous parlions cinéma, les passagers et moi. J’ai eu l’occasion aussi de leur montrer ce que je faisais. Un jour, ou une nuit plutôt, le client assis bien tranquillement derrière moi m’a demandé s’il pouvait acheter une VHS de mes courts-métrages et c’est comme ça que je me suis mis à diffuser mes films, en plus des festivals. Le taxi m’apportait une dose de cinéma. Car conduire une personne d’un endroit à un autre en taxi est d’ailleurs une excellente école de cinéma, servir, guider, parler, écouter, aller droit au but, chaque détour ou raccourci étant un riche moment. L’école n’est pas toujours où l’on croit. L’école de beaucoup de choses se confond souvent avec l’école de la vie. Mais c’est surtout dans le besoin de vivre de mes premiers films et d’une certaine indépendance que je suis allé un jour sonner aux portes d’un quartier, d’abord timidement, puis comme une aventure assez jubilative. Par la suite, j’ai saisi l’importance de cet acte de rendre accessible au tout public ce cinéma moins diffusé.
Question : Comment choisis-tu dans quelles maisons tu vas aller sonner ? Tu vas vers celles qui te semblent intéressantes ? Tu passes dans un village après l’autre ?
Daniel Duqué : Je ne choisis pas, je passe systématiquement dans chaque maison, je vais te dire après pourquoi. Parfois, si certaines zones, certains immeubles ne marchent pas, je passe à un autre endroit. Parfois, après un long moment de portes fermées ou de désintérêt, je me dis : attends, attends, la probabilité va faire en sorte que la prochaine porte va s’ouvrir et celle-là je ne dois pas la manquer. Mais ça ne marche pas toujours ce genre d’idée… Sinon je suis intimement convaincu que toute personne, quel que soit son âge, ses conditions de vie, peut s’ouvrir à un cinéma que l’institution qualifie d’exigeant, de niche, sous des critères commerciaux. Quel auteur avait dit que l’élite, c’est le public ? Je suis là pour pour appuyer sur les bons boutons, pour intéresser en quelques minutes C’est vrai, j’ai tendance à faire des catégories, des pronostics selon les maisons ou les portes d’appartement ou même les paillassons… Là ça marchera, ici pas du tout, mais je crois que c’est de l’illusion qui relève de la volonté qu’on a tous de maîtrise sur le réel. Quant au choix du quartier ou du village ou de la ville, c’est selon l’envie du moment, la météo, l’intuition.
Question : Est-ce contraignant pour la mise en scène en tant que réalisateur d’être également un acteur de son propre film ?
Daniel Duqué : J’ai essayé de ne pas être acteur de ce film documentaire, mais plutôt d’être agi par lui, par les circonstances. Je préfère que ce soit lui, tout ce colportage, ces gens, tout cet univers, qui passent à travers moi, et déjà au stade de la captation image il s’agissait plutôt de mise en situation que de mise en scène. Le réel développement du film s’est fait à l’écriture et au montage, image et son. Même si ce film, je le sentais déjà sur ma trottinette. Mais au tournage, la contrainte surtout était de rester au maximum seul, léger, innocent envers celui qui ouvre sa porte et que je risque de stresser, et garder une caméra au poing sans autre ajout. Le besoin aussi de cadrer avec l’objectif le réel qui m’entoure, notamment en attendant devant les portes fermées, dans ce moment de vide, qui peut être salutaire soit dit en passant. Une contrainte que je me suis donnée était de rester fixé sur la personne en train de s’exprimer, de m’effacer, de cadrer sans en avoir l’air et d’être vraiment présent à la rencontre et à ce qui est exprimé.
Question : Tu cites dans ton film Le Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry: « Les grandes personnes ne comprennent jamais rien toutes seules, et c’est fatigant, pour les enfants, de toujours et toujours leur donner des explications. » Trouves-tu fatiguant toi aussi que ton message ne soit pas forcément saisi par la majorité ?
Daniel Duqué : Tu ne dis pas la suite mais elle est importante pour le film :
« Quand ils s’aperçoivent que leurs parents les croyaient incapables de comprendre, alors qu’ils comprennent tout, ils se hâtent de devenir des grandes personnes…» Ces derniers mots sont terribles, le film parle de ça, si on y fait bien attention. Notamment ce réservoir de créativité et d’intuition que nous perdons très vite dans notre nécessité de performance sociale, intellectuelle, et ça commence déjà chez l’enfant qui doit vite se construire, parfois brûler les étapes, par exemple en se mesurant trop tôt à la collectivité de la crèche sans être prêt, etc. Le film fait ressentir tout ça. Par anticipation de la réaction agressive ou défiante de la personne qui m’a ouvert sa porte, il m’arrive souvent d’essayer de pénétrer derrière le regard de mon interlocuteur tout en me disant : c’est juste un enfant qui a grandi, j’essaie d’appeler cet enfant en lui qui a déjà fait un premier pas en m’ouvrant sa porte… encore un petit effort pour qu’il m’ouvre une autre porte en lui, qu’il se connecte juste… Je reviens à ta question : pour aller vers le second degré, pour être sensible, à la métaphore, au double sens de certaines images et des sons, il faut une disponibilité, du temps, de l’énergie, une habitude, peut-être même une volonté, choses que le spectateur n’a pas toujours, pris dans un rythme de vie déphasant. C’est bien sûr fatiguant et frustrant de le voir capter beaucoup moins que ce qui est dit alors que tout est dit, montré ou suggéré. Et je me demande alors si j’ai trouvé le juste équilibre dans ce langage qui s’adresse avant tout aux sens plus qu’à l’intellect. Mais quand je vois que les jeunes ou même les enfants saisissent le sens, cela me rassure. Le « travail » pour le spectateur à faire devant une œuvre artistique, le doute, est salutaire, nous fait évoluer ; on oublie cet aspect-là peu encouragé. Tout doit être immédiat maintenant.
Question : Dans ton action de colportage, tu vas directement à la rencontre de ton public. Ne perds-tu pas cela en projetant ton film de manière conventionnelle ?
Daniel Duqué : Projeter le film en salle le cinéma est aussi une manière d’aller à la rencontre du public, de se frotter à la presse, cela fait partie de mon métier, et j’y tiens. Il y a une part d’acte de résistance dans le porte-à-porte et dans mon style de cinéma mais je trouve préférable que cela s’inscrive dans le cours des choses du cinéma. D’ailleurs, le film a reçu un soutien financier institutionnel et la sortie cinéma, c’est aussi donner plus de chance au public et aux films de se voir. À part ça, cette manière conventionnelle de projection ne correspond peut-être plus à ce genre de cinéma.
Question : Question plus intimiste, y-a t’il un réalisateur ou un film qui t’as guidé dans ton approche du cinéma ? Et si oui, quel est-t ’il ?
Daniel Duqué : Quand Freddy Buache, à la Cinémathèque, nous montrait des extraits de films classiques dans son après-midi d’Esthétique et d’Histoire du cinéma, cela accentuait le mystère et la force du film en extraits. Il fallait ensuite absolument voir ces films. C’est paradoxal, mais ça a fonctionné comme ça chez moi. Donc toute une série de films et d’envies de films m’ont nourri. Bresson, Dreyer, Tarkovski, mais aussi Pabst, Sternberg, Stroheim, Renoir et puis Agnès Varda, Godard, Truffaut, Duras… et tous les autres…
Question : Pourquoi ce choix d’évoquer à plusieurs reprises les actualités d’alors sur la guerre en Syrie ?
Daniel Duqué : Sur plusieurs années de porte-à-porte, il y avait un contraste entre un univers clos, qui s’ouvre quand même sur les autres, et les nouvelles terrifiantes et insupportables de la guerre en Syrie. Pour mon film précédent, j’avais déjà étudié cette problématique de l’information continue, ses effets sur l’humain qui ne peut réagir comme en cybernétique où l’information est là pour guider une réaction. Et ici, je ne pouvais que me poser la question sans cesse sur mon action, qu’est-ce que je peux faire, quels sont les impacts des films que je transporte sur le cours de la guerre au loin ? Dans le film, cette guerre imprègne les nouvelles radio en voix off mais aussi les motifs sound design. Ce qui m’a intéressé aussi et qui me frappait, c’était comment on recevait ces nouvelles, comment elles étaient dites, et la Syrie est pour moi un grand exemple de comment est fabriquée l’information. J’ai encore étudié cela au moment du montage et j’essaye de plus en plus de prendre du recul par rapport à l’information officielle en m’informant autrement. D’autre part, les langages, qui imprègnent les films que je propose aux portes, se rapprochent du poétique au sens large et il était évident que le film devait parler de la nécessité de ces langages par rapport à notre perception du réel via l’information. Le poème de La maison natale de Yves Bonnefoy résonne notamment avec les nouvelles de cette guerre, mais aussi avec nous-mêmes.
J’espère que les mots de Daniel Duqué vous ont séduit ; accueillez le chaleureusement lorsqu’il sonnera à votre porte. Pour les curieux, le film est en projection au Cinéma Rex les 4, 5 et 6 juin 2022 à 16:30. N’hésitez pas à consulter le lien du site ci-dessous pour plus d’informations : https://merlin-films.ch/films/colportage-interdit/
Guillaume Berclaz
Colportage interdit : interview de Daniel Duqué
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Le public entre. Sur scène, un piano, un bocal plein de billes : c’est tout. Ils sont trois, deux comédiens et une comédienne, vêtu.es de combinaisons semblables – l’un rouge, l’autre vert, la troisième bleue – en plein échauffement à vue. Les articulations craquent. Ça discute.
« – Quelle musique pour la fin du monde ?
– Sparkles, de Radwimps ! »
Ils jouent au « jeu de la musique ». L’un pose une question, les deux autres doivent répondre. Quelle musique pour ton enterrement ? Et pour ton mariage ? Et pour ton meilleur petit-déjeuner ? On débat, on se contredit et parfois on se retrouve. Le trio s’amuse, chauffe sa voix ; bruit de fond tandis que les gradins se remplissent. Puis le public se tait, et alors c’est le show : à fond la musique, les lumières multicolores et les chorégraphies.
L’idée est venue d’une musique en particulier, une musique qui en a amené une autre, puis une autre, et ainsi de suite… une Playlist autour de laquelle le spectacle s’est construit. On nous emmène, de manière frénétique, au travers des classiques de la chanson françaises, de J-Pop et des tubes iconiques des années 2000. Les comédien.es évoluent sur scène avec folie, dansent, lancent musique après musique, évoquent les rêves qui les relient et les émotions qui les remuent – avec en fil rouge, leurs souvenirs.
Car Playlist parle bien de ça, de musique et d’émotion. D’une musique qui peut, dans ses paroles et sa mélodie, faire écho en chacun de nous. Un écho qui rebondit différemment, qui mue et se construit, une réponse plurielle au départ d’un même son. Cette richesse, ils l’explorent, jouent avec et sollicitent même le public : si votre plus grand amour revenait, après que vous ayiez tiré un trait et continué votre route, s’il était là, sur votre pallier, et qu’il vous disait avoir tout quitté pour vous… quelle musique auriez-vous en tête ?
On est presque déçu que le spectacle ne dure pas plus longtemps, mais c’est que le jeu avec le public est intelligemment mené et le temps passe vite. Playlist est un spectacle drôle et touchant, qui provoque le rire et, l’air de rien, tout à la fin, nous touche en douceur. Une musique parle de tout, des moments de joie comme de tristesse ; elle peut évoquer le passé, les erreurs, les regrets. Les moments sombres qui, d’une manière ou d’une autre, nous ramèneront à ce qui nous rend humains, sans pour autant nous enlever l’espoir. Et ça, Playlist le retranscrit bien.
Retrouvez Aline Bonvin, Philippe Annoni et Jérémie Nicolet sur leurs réseaux.
Le résumé donné par Friscènes, c’est ici.
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Amélie Gyger
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